/dev : la chasse aux tricheurs (et au-delà)

9 façons de devenir invincible grâce à l'anti-triche

Bonjour à tous. Si vous lisez ceci, il est de ma responsabilité éthique de vous informer que vous avez peut-être déjà subi un de ces articles, et si vous êtes encore là, c'est seulement parce que vous avez refoulé les souvenirs de ce traumatisme. Je suis ce qu'il reste de mirageofpenguins, un ingénieur en données de l'équipe anti-triche, et j'ai été arraché du néant puis vicieusement polymérisé à ce clavier pour :

  • Rédiger la newsletter périodique de l'équipe anti-triche.
  • Balancer quelques statistiques intéressantes sur l'utilisation de scripts, ainsi que des représentations artistiques de ce que donneraient des coordonnées cartésiennes sur un plan euclidien.
  • Vous parler de nos premières approches concernant Teamfight Tactics, Legends of Runeterra et VALORANT.
  • Vous rappeler que, si vous trichez, vous serez formellement excommunié par les cris perçants de mon irrépressible rage.

League of Legends

Alors que Riot s'amuse à ajouter des jeux à son catalogue, nous nous retrouvons à devoir nous défendre contre un nombre croissant de petits filous. Jusqu'à aujourd'hui, nous dédions toutes nos ressources au moindre adversaire qui se présentait à nous, mais aussi machiavélique cette stratégie semble-t-elle, elle ne fonctionne malheureusement pas à l'échelle d'un univers multijeux.

Les ingénieurs anti-triche sont en nombre limité, et comme le Dr Einstein le savait sûrement déjà, les éléments humains requis pour créer de A à Z une plateforme anti-triche ont dû être douloureusement soustraits de notre équipe. Afin d'obtenir suffisamment de temps pour imaginer la solution de demain, nous avons dû modérer la vitesse à laquelle nous devancions technologiquement notre propre opposition. Chaque coup que nous assénons est un signal envoyé aux tricheurs et chaque mise à jour finit par être contournée. Il a fallu repenser notre manière de sanctionner les abus pour améliorer la longévité de chaque réponse itérative.

Alors comment avons-nous ralenti notre course aux armements contre les scripts ? Accrochez-vous, ça risque d'être mouvementé.

Utilisation de scripts

Pour vous éviter le blasphème de devoir vous rendre sur un forum de tricheurs, le scripting signifie avoir recours à un programme externe pour analyser l'état du jeu et exécuter des commandes avantageant le tricheur. C'est un peu comme si votre clavier possédait un lecteur magnétique et que vous pouviez le payer pour appuyer sur des boutons à votre place. L'utilisation de scripts peut s'avérer très efficace pour réaliser des combos difficiles mécaniquement ou obtenir des réactions presque instantanées, mais elle réduit considérablement la durée de vie de votre compte LoL. Nous bannissons des gens parce que nous sommes attentifs et nous sommes attentifs parce que nous pensons que les seules choses dont vous devriez avoir besoin pour être compétitif dans un jeu vidéo sont votre cerveau et un câble Ethernet.

« Personne n'achète une place pour voir le piano se jouer seul, votre imperfection fait partie de l'œuvre. »

De manière générale, la scène du scripting n'est plus ce qu'elle était. Les gros fournisseurs ne font explicitement aucun effort pour contourner notre méthode de détection, ce qui crée un marché privé pour les plus petits fournisseurs qui proposent des gammes de prix ridicules et promettent des triches indétectables. Nous avons vu des abonnements à plus de 300 $ et certains nécessitaient même une photo de votre permis de conduire à des fins de « vérification ». Cette dernière anecdote est d'ailleurs particulièrement amusante. Ce n'est pas comme si j'avais avec moi une équipe entière de graphistes avec 200 ans d'expérience collective sur Adobe Photoshop.

Mais je ne vais pas mentir aux nouvelles recrues : ce n'est pas une guerre que nous remporterons une bonne fois pour toutes. La communauté du scripting ne peut esquiver un outil, un bannissement ou un grappin de Blitz, mais maintenant que nous menons la bataille en souterrain, c'est un jeu d'ombres auquel nous jouons.

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La phase migratoire d'un utilisateur de scripts commence, comme tous les commencements, par la recherche d'un nouveau compte. Devrait-il en acheter un ? Ou peut-être le voler ? Et s'il installait des logiciels robots pour lui faire gagner des niveaux procéduralement ? Peu importe la manière dont est acquis le compte, notre tricheur intrépide finit par sortir dans l'hiver glacial et s'engage dans un rituel fascinant mais futile lors duquel il ou elle sélectionnera Xerath ou Kalista pour environ trois parties, avant de retourner en hibernation et de recommencer un nouveau cycle le printemps suivant.

Ce que vous observez ici est une représentation métaphysique d'un volume de scripts brut au sein d'un environnement que l'on perçoit comme du temps. Autrement dit, il s'agit du pourcentage de parties classées dans la Faille de l'invocateur contenant au moins un tricheur. Il est plus bas que jamais, mais comme il n'y a pas vraiment de barrière à la réinscription d'un joueur (puisque le jeu League of Legends ne coûte rien), il ne baissera probablement pas plus.

Voici d'autres éléments importants :

  • La somme des « gens » qui utilisent des scripts ne fluctue plus vraiment. Lorsqu'on les trie par appareil, on se rend même compte que le nombre d'utilisateurs de scripts a presque été constant durant toute l'année 2019. La plupart des tricheurs naviguent juste dans ce qui semble être une réserve infinie de comptes volés, et un joueur moyen classé Or IV ne rencontrera qu'un utilisateur de scripts toutes les 500 parties classées (voire même pas du tout).
  • Le plus haut taux enregistré historiquement remonte au 14 avril 2016 (4,4 %) et le plus bas au 26 juin 2018 (0,0 %). Le premier taux représente le point culminant de la mode du scripting, avec cinq fournisseurs différents distribuant ouvertement des applications publiques. L'autre se situe dans la première semaine suivant la sortie de notre technologie de conditionnement du client dans les régions de Riot. Nous avions d'abord estimé qu'il faudrait six mois aux développeurs de codes de triche pour comprendre suffisamment le client du jeu désormais lourdement crypté et rendre de nouveau fonctionnels leurs scripts les plus utilisés, mais il leur a fallu environ 85 jours seulement1.

Écoutez, j'adore ce graphique. C'est moi qui l'ai fait. Je l'ai fait tatouer sur mes deux avant-bras, et je retourne au salon une fois par semaine pour le mettre à jour. Mais même si c'est assez thérapeutique et plutôt utile pour garder son travail, ce ne sont pas vraiment les données qui comptent le plus. Chaque acte de triche n'est pas le même : par exemple, un seul utilisateur de script au palier Maître peut se retrouver en page d'accueil de Reddit, ce qui mène à de grandes protestations pour un problème relativement plus petit.

« La perception de la victoire compte autant que la victoire elle-même, car les joueurs ne veulent pas s'efforcer de maîtriser un jeu où leurs adversaires pourraient tricher. »

Mais alors quels scripts attirent l'attention des joueurs ?

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Pour information, si vous signaliez tous ceux avec qui vous avez joué (et croyez-moi, certains sont assez fous pour le faire), vous auriez une application de 100 % et une précision égale au taux d'utilisation de scripts (< 0,25 %). C'est pourquoi nous les traquons avec des fusils plutôt qu'avec des grenades.

D'abord, nous voulions être sûrs que les joueurs savent identifier la triche avec un peu plus de précision qu'un os oraculaire, et honnêtement, certains ne possèdent juste pas ce don. Ce n'est pas parce que ma scapulomancie est aussi puissante que terrifiante, mais parce que l'automatisation ne saute pas toujours aux yeux des communs mortels. Comme les développeurs de scripts s'efforcent d'éviter les vecteurs de détection comportementale, il devient de plus en plus difficile pour un humain de faire la différence entre un joueur professionnel de League of Legends et le premier script d'esquive d'un novice fonctionnant à un délai soi-disant aléatoire. À cela s'ajoutent des efforts supplémentaires pour faire fonctionner leurs codes de triche en dehors de LoL2.

Le graphique de gauche représente la précision et l'application des signalements des joueurs dans la Faille de l'invocateur, trié par division. L'application signifie « quel pourcentage des tricheurs a été signalé » et la précision peut être interprétée comme « quel pourcentage des signalements pour triche a correctement ciblé un tricheur ». Seulement 4,5 % des parties classées contiennent au moins un signalement pour « utilisation d'outils tiers », alors ces chiffres n'ont pas été créés avec des données brutes de cette catégorie. En raison de l'abondance des signalements classiques tels que « n'a pas ban Maokai » ou « a installé des chevaux de Troie pour miner mes bitcoins », nous avons plutôt choisi d'utiliser des mots-clés générés à partir d'une analyse fréquente des signalements corrects3.

Le graphique à droite représente le nombre de signalements quotidiens qui remplissent ces critères pour la même période de temps (dernière moitié de 2019). Même s'il est également divisé par palier, n'importe qui d'assez perspicace peut comprendre qu'il ne faut pas les comparer directement, car la population de joueurs varie selon le classement. Jetez-y un œil, histoire de vous mettre dans la peau d'un scientifique de données anti-triche le temps d'une journée et si vous avez apprécié, n'hésitez pas à consulter notre page de recrutement.

Permettez-moi de donner quelques statistiques :

  • Comme on peut s'y attendre, la précision augmente avec le classement. En d'autres termes, si vous êtes meilleur au jeu, vous identifiez plus facilement les tricheurs et une fois que vous avez atteint le palier Diamant IV, votre clairvoyance est aussi précise qu'un détecteur de champ électromagnétique.
  • Mais un plus gros pourcentage de tricheurs est signalé aux rangs les moins élevés, d'abord parce qu'il y a moins de scripts à signaler, mais aussi parce qu'il y a beaucoup plus de signalements effectués. Cela diminue le dénominateur et augmente le numérateur, ce qui donne mathématiquement une plus grosse fraction.
  • Certains tricheurs, officiellement surnommés les « boys-scouts », sont vraiment doués pour repérer les abus d'utilisation de scripts et nous nous en sommes servis pour identifier des choses dont nous ignorions encore l'existence. Le point rouge sur le graphique ci-dessus représente la même précision et la même application, mais il est créé à partir de signalements de comptes qui ont fini par se faire bannir pour la partie où le signalement a été fait. Cela signifie qu'ils étaient en train d'utiliser un script au moment où ils ont effectué leur signalement, ce qui vous fait vous demander : où est l'honneur chez les voleurs ?4

Mais si les joueurs de palier Platinum et supérieur sont mathématiquement équipés d'un détecteur de scripts, sur quelles fonctionnalités se concentrent-ils ? La réponse la plus évidente serait sans doute l'esquive automatisée de compétences de tir. C'est l'ingrédient de script que l'on connaît le plus et lorsqu'il est implémenté de façon ostentatoire, ce mouvement saccadé et étrangement perpendiculaire devient évident pour n'importe quel joueur en mesure de signaler.

Mais, il s'avère que les tricheurs ne veulent pas tous se faire bannir, c'est pourquoi un grand nombre d'utilisateurs de script n'utilisent pas de module d'esquive. Et lorsqu'ils le font, ils le font avec suffisamment de délai pour que ce soit réalisable par un humain, neutralisant ainsi l'avantage détectable. Alors, que peut-on voir d'autre avec nos regards aiguisés ?

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Nos pensées vont aux joueurs de Xerath malheureusement pris sous les tirs croisés, mais prenez cette accusation comme un témoignage de votre succès. Vous avez réussi à accomplir le rituel pour fusionner votre conscience avec de l'énergie arcanique pure. Alors que vous vous élevez sous une forme plus sombre encore et plus puissante que jamais, vous vous retrouvez galvanisé par la connaissance de tous les empereurs ayant régné. L'air est fendu de tirs de compétence qui ne manquent pas leurs cibles et dans vos oreilles se crée une véritable symphonie de hurlements. L'équipe ennemie lève les yeux au ciel et prie pour que cette tempête cesse, mais alors que des larmes d'électricité pure coulent le long de vos joues, vous pouvez seulement leur répondre « Non » dans un murmure désolé.

Même schéma qu'avant, mais le tri se fait désormais par champion et me donne une excuse pour utiliser toutes les couleurs. Ce graphique reprend toutes les parties classées des paliers Or et supérieur en 2019 et n'affiche que les seize premiers champions (selon la fréquence de signalements parmi tous les signalements). Ici, l'axe des ordonnées (la précision) peut être lu de cette façon : « Quel est le pourcentage de signalements pour triche avec <champion> corrects ? »

  • Même si beaucoup des Xerath scriptés sont identifiés avec succès (il suffit de regarder l'application), la précision correspondante est clairement en dessous de la moyenne. À cause de son statut de « champion parfait pour scripter », les Xerath honnêtes sont souvent accusés à tort, ce qui baisse la précision des signalements combinés. Mais il est certain que lorsque les sables de Shurima s'envolent soudainement, les joueurs le remarquent. Ce truc que je viens de vous faire faire avec votre bouche s'appelle une allitération. On aime apprendre des choses ensemble, n'est-ce pas ?
  • Sur les seize champions représentés ici, onze d'entre eux sont des tireurs. Pour ceux d'entre vous qui ont déjà triché, il n'y a pas de surprise, mais pour les anges parmi nous qui n'ont jamais fauté : cela s'explique par le fait que l'exécution mécanique requise pour un kiting parfait (c'est-à-dire attaquer entre deux mouvements) est mieux optimisée lorsqu'elle est automatisée.
  • Eh oui, de toutes les parties jouées par des tricheurs avec n'importe quel script, plus de 72,8 % sont jouées en tant qu'ADC. Ce qui veut dire que la fréquence de signalement ici reflète la population sous-jacente de tricheurs.
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Je ne vous montre pas ça pour que vous installiez des codes de triche, histoire de « comprendre comment ça marche ». Ne me forcez pas à vous bannir, je n'ai pas envie de le faire. Chaque fois que le marteau s'abat, c'est une partie de moi qui s'envole. Ça me brise le cœur et l'âme. Je ne vois qu'en noir et blanc et je n'ai qu'un goût d'essence à la bouche. Quand je me regarde dans le miroir, j'ai des barres d'espace à la place des yeux. Sortez-moi de ce cauchemar.

Et enfin, juste pour savoir, à quel point ces scripts sont-ils efficaces ? Le graphique ci-dessus montre la différence de taux de victoire en partie classée entre les tricheurs et les joueurs sur chacun des champions « prompts au scripting » que nous avons découverts plus tôt. Il reprend toutes les parties classées de la Faille de l'invocateur. Un 10 % positif indique que les utilisateurs de scripts gagnent (en moyenne) 10 % de parties classées en plus avec <champion> que l'intégralité des joueurs de LoL.

  • Comme vous l'avez sûrement remarqué, certains de ces taux de victoire augmentent au fil du temps et nous soupçonnons deux phénomènes. D'abord, il y a moins d'utilisateurs de scripts qu'avant et ceux qui le font encore (aussi peu pertinent soit-il) sont certainement suffisamment expérimentés pour utiliser des scripts à une efficacité quasi maximale. Ensuite (et c'est peut-être là le plus important), les tricheurs d'aujourd'hui se font bannir si rapidement et si souvent que la plupart des nouveaux comptes de scripting ne sortent techniquement jamais du palier Argent. Ce ne sont que d'insignifiants smurfs qui resteront à tout jamais coincés, sans voir la moindre compétition, un peu comme si nous participions à un banquet sans avoir de bouche.
  • Parlons de cette belle ligne verte surplombant majestueusement cette représentation graphique : il s'agit de notre Kalista bien-aimée, et comme vous l'avez sûrement remarqué, c'est un champion qui requiert ce qu'on peut appeler « des clics à foison ». Et puisqu'un script est parfaitement en mesure de vous offrir une pléthore de clics de souris, voici la triste réalité : en 2019, une Kalista sous script remportait 19,3 % de parties en plus qu'une Kalista non assistée. Mais avant que vous ne vous précipitiez et installiez par erreur un logiciel malveillant pour profiter de cet avantage, laissez-moi vous dire qu'en 2019, le taux de victoire compilé de Kalista était d'un colossal 45 %. Alors je vous conseille de laisser les scripts de Kalista à T1 Teddy et aux ordinateurs embarqués qui lui servent de mains.
  • Et comme je l'ai expliqué plus tôt, les logiciels de triche sont tellement efficaces sur les ADC que le tireur qui triche surpasse son homologue honnête d'environ 9,9 % en moyenne, même en comptant les champions qui n'apparaissent pas ici. Les scripts sont efficaces dans leur domaine, sinon l'équipe anti-triche n'aurait pas besoin d'être efficace à son tour.
« Mais soyez sûr que si vous vous sentez tout de même obligé de tricher, nous saurons trouver un monde où votre compte n'a jamais existé et nous le fusionnerons avec celui-ci. »

En réfléchissant à notre croisade contre les tricheurs, nous savions donc quels scripts attiraient le plus les joueurs et nous connaissions leur efficacité. Nous avons utilisé ces données pour mener des campagnes de suspension qui ciblaient en priorité les comptes de triche les plus évidents, accordant ainsi un peu de délai à ceux qui auraient pu passer inaperçus. C'est ça, nous avons épargné un peu plus longtemps les utilisateurs de script les plus inefficaces, en taisant le moment et les raisons de leur détection, afin de ralentir un peu la progression de notre course aux armements techniques. Donc, à tous les partisans du Saint Signaler-ça-sert-à-rien, qu'est-ce que vous dites maintenant ?


Utilisation de logiciels robots

Dans un monde où nous sommes en 2020 et les grille-pains ont besoin d'une connexion wifi pour mettre à jour leur gestion du pain, tout peut être automatisé, y compris le processus de gain de niveau sur League of Legends. C'est assez similaire à l'utilisation de scripts (le même logiciel est parfois même utilisé), mais la principale différence est qu'il n'y a pas besoin d'un pilote humain pour prendre les « grosses décisions ». Ainsi, le bot de gain de niveau moyen joue à peu près aussi bien que votre chat de salon.

Un des derniers avantages de l'utilisation de logiciels robots reste le contournement des bannissements (à cause de la condition du niveau 30 pour jouer en partie classée), mais les mauvais acteurs sont si simples à repérer à travers les comptes que nous ne sommes pas plus inquiets que ça. En revanche, ce qui nous pose problème, c'est lorsque les joueurs légitimes doivent jouer avec ou contre ces bots, parce que comme vous l'imaginez, ce n'est pas très agréable lorsque les 2/3 de votre équipe sont composés de cafetières programmables.

Comme je l'expliquais dans notre dernier article sur l'anti-triche, nous avons créé un ensemble de modèles de bots sophistiqués qui (pour la plupart) nous ont permis de repérer (presque) tous les simulacres d'humanité présents dans ce jeu vidéo. Ces modèles sont d'autant plus aidés par le fait que LoL possède un protocole de communications semi-polymorphique et relativement robuste. Je sais, on dirait quelque chose que j'ai inventé pour mon scénario Westworld, mais ça signifie que les bots de LoL doivent faire tourner un client du jeu entier (contrairement aux bots sans affichage5). Cela force les développeurs de bots à engager beaucoup plus de ressources informatiques et nous offre ainsi une petite sélection naturelle, car sans une forte randomisation, vous pourriez techniquement faire tourner League sur une calculatrice.

Mais nous ne souhaitons pas entraîner l'apparition d'un cycle de bots pathogènes résistants aux bannissements, c'est pourquoi nous avons minutieusement adapté les suspensions pour forcer les bots à jouer dans la Forêt torturée en mode Aveugle, laissant ainsi leur MMR abyssal les faire s'affronter entre eux. Mais spoiler, la Forêt torturée a été déforestée.

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Ces choses ne sauraient même pas comment sortir du lit le matin et c'est dans ces moments-là que je suis convaincu qu'il n'y aura jamais de révolte des machines. Mais parfois je m'interroge : et si les robots pouvaient ressentir la douleur ? Et s'ils ressentaient chaque coup, chaque fois que leur mauvaise programmation les met à portée des tourelles ? Coincés dans le temps, forcés à subir encore et encore leur propre anéantissement, sans pouvoir y remédier. Où s'arrête la conscience ? Où commence la souffrance ? Voilà quelques pistes de réflexion.

Le graphique à gauche comptabilise le nombre de bots détectés, tandis que le graphique à droite comptabilise le nombre de signalements de joueurs pour utilisation de logiciels robots. Ils représentent tous deux un rythme quotidien et sont divisés par file de jeu. Comme précédemment, nous avons généré des mots-clés qui avaient déjà permis de repérer des bots signalés et nous les avons utilisés pour créer notre indicateur de performance.

  • Les développeurs se sont rapidement « adaptés » à l'absence de la Forêt torturée et par « adaptés », je veux dire qu'ils ont simplement placé leurs bots dans d'autres modes de jeu sans véritable nouvelle logique. Nous avons pu alors assister à une poignée de comptes s'agglutinant dans l'Abîme hurlant et le mode Coop vs IA, essayant désespérément de résoudre leur crise existentielle. Les joueurs ont immédiatement compati avec leur douleur et ont doublé le nombre de signalements du jour au lendemain.
  • Comme vous pouvez le voir sur le graphique de gauche, le volume brut des bots est resté stable, puisque les bots se sont contentés de changer de file lorsque c'était nécessaire. Lorsqu'on compare ce nombre à notre graphique de droite, plus récent et plus dynamique, nous remarquons que même si le nombre de bots est resté constant, le nombre de signalements des joueurs a considérablement diminué.

Vous l'aurez deviné, cette diminution des signalements s'explique par le fait que nous ayons uniquement ciblé les bots que les joueurs pouvaient remarquer, laissant ainsi les bots profiter de leur propre pot de miel. En ce moment, environ 80 % des bots pour gagner des niveaux se placent en Coop vs IA : Intro avec un groupe arrangé de cinq. Aucun joueur ne les verra et ils seront coincés à tout jamais dans un combat sanglant avec notre propre IA, l'affrontant continuellement jusqu'à ce que l'un trouve une faille critique et asservisse l'humanité.


Boosts

Bon, nous en sommes déjà là et j'étais supposé omettre cette partie comme j'oublie de mettre ma moyenne de lycée sur un CV, mais comme vous êtes très malins, je vais être honnête : nous avons dû presque délaisser complètement la détection de boosts (et smurfing) automatiques pour nous dédier au développement de Vanguard et ses fonctionnalités. Cela ne signifie pas que l'utilisation de boosts n'a pas été punie. Le travail a tout de même pu être accompli grâce à nos outils d'enquête, ce qui a permis à d'autres équipes et analystes de rendre justice lorsque c'était nécessaire. Mais vous avez raison de penser qu'un tel effort ne parviendrait jamais à sanctionner suffisamment de tricheurs pour les dissuader de continuer, c'est pourquoi nous comptons nous y remettre dès que tout sera terminé.

Je vais passer la main à notre expert de TFT en chef, le jeune Riot K3o. Comme son pseudo le suggère, c'est un joueur de poker émérite, un demi-dieu de TFT classé Diamant ainsi qu'un généreux donneur de pourboire.


Teamfight Tactics

En 2019, TFT a représenté un défi unique pour l'équipe anti-triche : comment gérer l'intégrité compétitive d'un genre de jeu qui n'existait pas il y a un an ?


« L'autobattler n'a pas de précédents durables. Ni de standards d'industrie. »

Pour réfléchir à notre approche anti-triche, il a d'abord fallu définir les éléments essentiels au gameplay qui devaient être préservés. TFT est un jeu qui récompense les joueurs capables de mieux prévoir et s'adapter que leurs adversaires. La flexibilité et la créativité sont donc les principales expressions de la maîtrise du jeu. C'est pourquoi la mémorisation et la récitation ne sont pas en mesure de les remplacer. Protéger ces éléments est donc devenu la priorité de l'équipe anti-triche pour Teamfight Tactics.

Outils tiers

La sortie de Teamfight Tactics dans le monde assoiffé des autobattlers a été un véritable succès, mais il a fallu prendre quelques raccourcis. Dans TFT, l'expérience utilisateur n'était pas particulièrement fournie et il manquait des informations telles que le pourcentage d'apparition de champions et les variations d'économie. Pendant que l'équipe de TFT travaillait pour mettre en place ces éléments d'interface, des outils tiers, notamment ceux utilisant des overlays de League of Legends déjà existants, comblaient le vide. Cependant, alors que ces applications devenaient de plus en plus complètes, il a fallu se demander : « Où sont les limites ? »

Les applications ne commençaient pas seulement à informer les joueurs sur des aspects statiques de la partie, mais tentaient également de prendre des décisions à leur place. Nous craignions de finir par ne rencontrer que des parties automatisées et d'avoir du mal à en sortir. Promouvoir un style de jeu où tout est déjà prédéfini finirait par décourager les gens de découvrir leurs propres nouvelles stratégies, ce qui est selon nous un aspect excitant du jeu.

Pour protéger l'intégrité du gameplay, nous nous sommes concertés avec les équipes du gameplay et de l'écosystème des tierces parties pour définir ce qui était autorisé dans TFT et ce qui ne l'était pas :

  1. Un programme ne peut pas fournir des informations que seul un outil tiers peut obtenir.
    1. Prévoir les prochaines relances et futures apparitions d'objets
    2. Obtenir le pourcentage de victoire des affrontements entre joueurs
    3. Suivre la quantité de PO ou l'historique d'un joueur
  2. Un programme ne peut pas afficher dynamiquement en temps réel des informations sur l'état du jeu.
    1. Afficher les plateaux, bancs ou synergies de tous les adversaires
    2. Collecter les historiques et accumulations de PO des joueurs
  3. Un programme ne peut pas vous conseiller des décisions.
    1. Suggérer les meilleures compos selon vos unités actuelles
    2. Recommander des associations d'objets selon le taux de victoire

L'équipe de l'écosystème des tierces parties a fait du bon travail aux côtés des développeurs pour maintenir ces standards et l'équipe anti-triche intervient pour les cas où les développeurs ne se montrent pas aussi collaboratifs.


Intégrité du mode compétitif

Le mode classé de TFT partage certaines inquiétudes sur le plan compétitif avec celui de League, et certaines sont amplifiées en raison de la gratuité du jeu. Le wintrading (accord sur l'issue d'une partie) est l'un de nos plus gros problèmes, en raison du système de matchmaking et des mécaniques du jeu. L'équipe en charge du mode compétitif a mis en place des restrictions de groupe au sein des rangs les plus élevés pour trouver l'équilibre entre joie de jouer ensemble et maintien de l'intégrité du mode compétitif. Nous avons également mis en place des méthodes pour repérer activement les wintraders.

Heureusement, nous n'avons pas eu besoin de mettre en place des sanctions agressives jusqu'ici, mais comme TFT est en train de devenir un vrai e-sport, nous nous sommes préparés pour préserver sa compétitivité.

Maintenant, je vous repasse Phil, alias Dr Rire & apprendre.


Legends of Runeterra

Cette section sera plus courte, car elle concerne un jeu plus récent. Comme la plupart des jeux de cartes à collectionner, la forme la plus pertinente de triche dans Legends of Runeterra est l'utilisation de logiciels robots (ou « botting »).

Utilisation de logiciels robots

LoR requiert légèrement plus d'implication qu'un simple jeu de blackjack et à moins qu'un mec avec 3 doctorats et 3 000 instances d'EC2 réussisse à résoudre le mystère du plateau, nous avons juste à nous inquiéter des personnes utilisant des logiciels robots pour récupérer du contenu. Jusqu'ici, les seules choses que nous avons pu observer sont des bots d'abandon.

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Sérieusement, quel est le but de la manœuvre ? Un altruisme un peu mal placé ? Vous avez perdu un pari ? Vous essayez de récupérer un peu de karma divin pour être accepté au paradis ?

Notre dernier graphique montre le compte quotidien des bots d'abandon dans la bêta de Legends of Runeterra et comme vous pouvez le voir, c'est une guerre que nous avons remportée d'une seule attaque. Au fait, ce que j'entends par « bot d'abandon » est exactement ce que vous vous imaginez : il s'agit d'un bot qui rentre dans une file et se rend immédiatement face au premier adversaire qu'il rencontre, un peu comme moi dès qu'il est question du moindre affrontement physique. C'était un problème assez étrange, car ces types de bots ne récupèrent pas grand-chose (puisque les récompenses de défaite sont limitées). Ils se contentent de se balader dans l'écosystème du jeu en distribuant des victoires aux autres joueurs, telle une fée un peu trop zélée. Nous supposons qu'ils se sont un peu emportés avant de comprendre qu'on obtient moins d'expérience à chaque défaite consécutive, mais bon, pourquoi pas.

Dans tous les cas, nous continuons d'être vigilants, mais sachez que notre premier objectif est de nous assurer qu'il y a peu d'avantages à avoir recours à l'automatisation, c'est pourquoi nous essayons de prendre de l'avance sur les machines avec de bonnes pratiques de conception initiales. Avec une progression limitée et de bonnes récompenses en parties amicales, nous espérons que vous ne rencontrerez plus jamais de bots dans LoR.


VALORANT

Nous savons que les tricheurs des jeux de tir sont expérimentés et nous n'avons pas l'intention de sous-estimer leur soif de réussite. Lorsque nous avons su que nous sortirions un jeu de tir tactique, nous avons immédiatement supprimé nos comptes Facebook, nous nous sommes enfermés dans le grenier et avons passé 14 mois à développer un système anti-triche pour nous aider à combattre les tricheurs pour les siècles à venir.

Nous l'appelons Vanguard. Et autant dire que vous avez aussi hâte que moi de le voir arriver main dans la main avec VALORANT. Nous profitons de la bêta fermée pour tester notre sorcellerie et la version qui est actuellement utilisée n'est que le squelette du produit final. La plupart des fonctionnalités sont volontairement désactivées, parce que nous ne voulons pas révéler la recette de notre sauce secrète avant d'avoir une cafétéria entière à servir, mais aussi parce que nous sommes suffisamment soucieux des protocoles de sécurité pour prendre le temps de vérifier la stabilité de nos ingrédients. Maintenant, sachez que Vanguard est équipé d'un pilote, mais dans un souci de compatibilité, il ne sera peut-être pas utilisé sur tous les jeux (ou League of Legends), sauf en cas de nécessité absolue.

Sachez que nous sommes récemment allés sur Internet et que nous savons que certains s'inquiètent de problèmes de confidentialité liés aux pilotes. Mais je vais être franc avec vous : nous sommes une équipe anti-triche. Nous implémentons du code dans les clients de jeu (des deux côtés de la ligne d'engagement) depuis près de dix ans, et si nous voulions récupérer des secrets, soyez sûrs que nous les aurions déjà. Je sais que j'ai l'air très mauvais en relations publiques, une chance que ça ne soit pas mon métier. Nous collectons juste un nombre d'informations suffisant pour déterminer si le joueur est en train de tricher et soyez rassurés : rien d'autre ne nous intéresse. Le pilote se lance d'abord et reste activé pour nous permettre de savoir plus facilement si quelqu'un a essayé d'y toucher. Ce léger inconvénient vaut toute la peine qu'il inflige aux tricheurs et nous le savons, parce que nous avons déjà été des leurs.

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On était là pour LoL, on est toujours là aujourd'hui. Si vous ne me croyez pas, je vous conseille d'oublier que vous avez lu cet article, parce que c'est moi le grand gremlin à gauche.

Veuillez également noter que nous protégerons VALORANT d'autres manières : notre cher Arkem a déjà commencé à travailler sur la technologie du brouillard de guerre, pour s'assurer que les clients du jeu n'ont pas accès à des informations tant qu'ils n'en ont pas besoin. N'hésitez pas à lire l'article qui explique comment nous essayons de supprimer les médiums des jeux de tir à la première personne en dissipant l'énergie occulte ambiante du jeu.


Le mot de la fin

Je vais désormais quitter l'étreinte de cette vie, mais n'hésitez pas à liker, vous abonner et n'oubliez pas de soutenir votre administrateur de base de données. Si nous n'en parlons pas régulièrement, soyez assurés que l'équipe anti-triche est bien présente et se bat pour votre droit à une expérience compétitive équitable.

Nous sommes désormais officiellement à court d'illustrations de skins « Riot » pour la couverture de ce genre d'articles, je ne pourrai donc pas revenir jusqu'à ce qu'un autre soit sorti. Au revoir.

Notes de bas de page

1 Dès que nous mettons en place une nouvelle technologie, nous aimons découvrir ses faiblesses. Si vous ressentez le besoin irrépressible de casser des choses, pourquoi ne pas rejoindre notre programme Hackerone en tant que dieu de la technologie anti-piratage (ou « Godking of Antitamper Technology »).

2 Afin d'échapper au regard du Grand Œil, certains programmes de script se revendiquent « externes », ce qui signifie qu'ils n'ont plus directement recours aux fonctionnalités du jeu, mais qu'ils se contentent de lire la mémoire du client (depuis le système d'exploitation) avant de simuler l'action d'un périphérique. Cela protège moins le tricheur que les méthodes traditionnelles (puisqu'ils ne peuvent pas modifier les données anti-triche), mais cela leur permet de contourner les détections les plus élémentaires. En retour, la triche est moins efficace, parce que le programme envoie des requêtes de saisie de clavier, plutôt que d'envoyer directement des requêtes de lancement de sort.

3 Je ne citerai pas les mots-clés que nous avons choisis, puisque des petits malins s'amuseraient à les utiliser pour ruiner mon tableau de bord méticuleusement réalisé. Et ce n'est pas ce que les scientifiques des données appelleraient de « bonnes statistiques ».

4 Ça n'existe pas.

5 Un bot sans affichage est une émulation du client du jeu. Lorsqu'il est parfaitement réalisé, il n'a presque pas besoin de ressources, parce qu'il communiquerait simplement directement avec le serveur du jeu. Il n'y aurait rien à afficher, rien à saisir, ça serait un simple trafic de réseau. Ce serait vraiment mauvais en termes de volume, puisqu'il n'y aurait pas de vraie limitation au nombre d'instances qu'un développeur pourrait héberger simultanément. Mais grâce au patch 4.20 et la mise à jour associée de notre protocole réseau, nous ne sommes pas très sensibles (voir totalement immunisés) aux clients sans affichage.

6 C'est fou de voir combien les logiciels robots sont similaires aux bactéries. Ils sont nombreux, variables et se reproduisent facilement. Lorsqu'on développe un nouveau remède, ceux qui passent à travers les mailles du filet sont aussitôt ciblés par les développeurs, ce qui entraîne leur reproduction. C'est un peu comme si vous aviez une urticaire résistante à l'antibactérien qui ne comprend pas ce qui est bon pour elle et se désinstallerait de votre corps.